Clément MAROT (1497-1544)

Tout vient à point, qui peut attendre...


Sa Grand Amye Anne d'Alençon

À sa sortie de prison en mai 1526, il s'éprend d'amour pour Anne d'Alençon à qui il écrit des rondeaux témoignant d'un sentiment sincère et pur:

Le dizain de neige

Anne, par jeu, me jeta de la neige,
Que je cuidais froide certainement;
Mais c'était feu; l'expérience en ai-je,
Car embrasé je fus soudainement.
Puisque le feu loge secrètement
Dedans la neige, où trouverai-je place
Pour n'ardre point? Anne, ta seule grâce
Éteindre peut le feu que je sens bien,
Non point par eau, par neige, ni par glace,
Mais par sentir un feu pareil au mien.

Du partement d'Anne

Où allez-vous, Anne ? que je le sache,
Et m'enseignez avant que de partir
Comme ferai, afin que mon oeil cache
Le dur regret du coeur triste et martyr.
Je sais comment ; point ne faut m'avertir
Vous le prendrez, ce coeur, je le vous livre ;
L'emporterez pour le rendre délivre
Du deuil qu'aurait loin de vous en ce lieu ;
Et pour autant qu'on ne peut sans coeur vivre
Me laisserez le vôtre, et puis adieu.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson III

Dieu gard ma Maîtresse et Régente,
Gente de corps et de façon.
Son coeur tient le mien en sa tente
Tant et plus d'un ardent frisson.
S'on m'oit pousser sur ma chanson
Son de voix, ou harpes doucettes,
C'est Espoir, qui sans marrisson
Songer me fait en amourettes.

La blanche colombelle belle,
Souvent je vais priant, criant :
Mais dessous la cordelle d'elle
Me jette un oeil friant riant,
En me consommant, et sommant
A douleur, qui ma face efface :
Dont suis le réclamant amant,
Qui pour l'outrepasse trépasse.

Dieu des amants, de mort me garde,
Me gardant, donne-moi bon heur,
Et le me donnant, prends ta darde,
En la prenant, navre son coeur ;
En le navrant, me tiendras seur,
En seurté suivrai l'accointance ;
En l'accointant, ton Serviteur
En servant aura jouissance.

De sa grande amie

Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d'ici en Italie.
D'honnêteté elle est saisie,
Et crois selon ma fantaisie
Qu'il n'en est guère de plus belle
Dedans Paris.
Je ne vous la nommerai mie
Sinon que c'est ma grand amie,
Car l'alliance se fit telle,
Par un doux baiser, que j'eus d'elle,
Sans penser aucune infamie
Dedans Paris.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XXVIII

J'ai grand désir
D'avoir plaisir
D'amour mondaine :
Mais c'est grand peine,
Car chaque loyal amoureux
Au temps présent est malheureux :
Et le plus fin
Gagne à la fin
La grâce pleine.

Chant de Mai et de Vertu

Volontiers en ce mois ici
La terre mue et renouvelle.
Maints amoureux en font ainsi,
Sujets à faire amour nouvelle
Par légèreté de cervelle,
Ou pour être ailleurs plus contents ;
Ma façon d'aimer n'est pas telle,
Mes amours durent en tout temps.

N'y a si belle dame aussi
De qui la beauté ne chancelle ;
Par temps, maladie ou souci,
Laideur les tire en sa nacelle ;
Mais rien ne peut enlaidir celle
Que servir sans fin je prétends ;
Et pour ce qu'elle est toujours belle
Mes amours durent en tout temps.

Celle dont je dis tout ceci,
C'est Vertu, la nymphe éternelle,
Qui au mont d'honneur éclairci
Tous les vrais amoureux appelle :
" Venez, amants, venez (dit-elle),
Venez à moi, je vous attends ;
Venez (ce dit la jouvencelle).
Mes amours durent en tout temps. "

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XV

Ma Dame ne m'a pas vendu,
Elle m'a seulement changé :
Mais elle a au change perdu,
Dont je me tiens pour bien vengé,
Car un loyal a étrangé
Pour un autre, qui la diffame.
N'est-elle pas légère femme ?

Le Noir a quitté et rendu,
Le Blanc est d'elle dérangé,
Violet lui est défendu,
Point n'aime Bleu, ni Orangé :
Son coeur muable s'est rangé
Vers le Changeant, couleur infâme.
N'est-elle pas légère femme ?

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XVI

J'ai contenté
Ma voulenté
Suffisamment,
Car j'ai été
D'amour traité
Différemment.
J'ai eu tourment,
Bon traitement,
J'ai eu douceur et cruauté :
Et ne me plains fors seulement
D'avoir aimé si loyaument
Celle qui est sans loyauté.

Coeur affété
Moins arrêté
Qu'un seul moment,
Ta lâcheté
M'a déjeté
Fâcheusement.
Prends hardiment
Amendement.
Et vous, Dames de grand beauté,
Si l'honneur aimez chèrement,
Vous n'ensuivrez aucunement
Celle qui est sans loyauté.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XVII

Je ne fais rien que requérir
Sans acquérir
Le don d'amoureuse liesse.
Las, ma Maîtresse,
Dites, quand est-ce
Qu'il vous plaira me secourir.
Je ne fais rien que requérir.

Votre beauté qu'on voit flourir
Me fait mourir :
Ainsi j'aime ce qui me blesse.
C'est grand simplesse :
Mais grand sagesse,
Pourvu que m'en veuillez guérir.
Je ne fais rien que requérir.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
De celui qui incite une jeune dame à faire ami

A mon plaisir vous faites feu et basme,
Parquoi souvent je m'étonne, madame,
Que vous n'avez quelque ami par amours :
Au diable l'un, qui fera ses clamours
Pour vous prier, quand serez vieille lame.

Or, en effet, je vous jure mon âme,
Que si j'étais jeune et gaillarde femme,
J'en aurais un devant qu'il fut trois jours
A mon plaisir.

Et pourquoi non ? Ce serait grand diffame,
Si vous perdiez jeunesse, bruit et fame
Sans ébranler drap, satin et velours.
Pardonnez-moi, si mes mots sont trop lourds :
Je ne vous veux qu'apprendre votre gamme
A mon plaisir.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
De l'amoureux ardant

Au feu, qui mon coeur a choisi,
Jetez-y, ma seule Déesse,
De l'eau de grâce et de liesse,
Car il est consommé quasi.

Amour l'a de si près saisi
Que force est qu'il crie sans cesse
Au feu.

Si par vous en est dessaisi,
Amour lui doint plus grand détresse,
Si jamais sert autre maîtresse :
Doncques, ma dame, courez-y
Au feu.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson X

Je suis aimé de la plus belle
Qui soit vivant dessous les cieux :
Encontre tous faux envieux
Je la soutiendrai être telle.

Si Cupido doux et rebelle
Avait débandé ses deux yeux,
Pour voir son maintien gracieux,
Je crois qu'amoureux serait d'elle.

Vénus, la Déesse immortelle,
Tu as fait mon coeur bien heureux,
De l'avoir fait être amoureux
D'une si noble Damoiselle.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
A un poète ignorant

Qu'on mène aux champs ce coquardeau,
Lequel gâte (quand il compose)
Raison, mesure, texte et glose,
Soit en ballade ou en rondeau.

Il n'a cervelle ne cerveau.
C'est pourquoi si haut crier j'ose :
" Qu'on mène aux champs ce coquardeau. "

S'il veut rien faire de nouveau,
Qu'il oeuvre hardiment en prose
(J'entends s'il en sait quelque chose) :
Car en rime ce n'est qu'un veau,
Qu'on mène aux champs.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XII

Tant que vivrai en âge florissant,
Je servirai Amour, le Dieu puissant,
En faits et dits, en chansons et accords.
Par plusieurs jours m'a tenu languissant,
Mais après deuil m'a fait réjouissant,
Car j'ai l'amour de la belle au gent corps.
Son alliance,
Est ma fiance :
Son coeur est mien,
Mon coeur est sien :
Fi de tristesse,
Vive liesse,
Puisqu'en Amour a tant de bien.

Quand je la veux servir et honorer,
Quand par écrits veux son nom décorer,
Quand je la vois et visite souvent,
Les envieux n'en font que murmurer.
Mais notre Amour n'en saurait moins durer :
Autant ou plus en emporte le vent.
Maulgré envie
Toute ma vie
Je l'aimerai,
Et chanterai :
C'est la première,
C'est la dernière,
Que j'ai servie, et servirai.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
Du mal content d'amour

D'être amoureux n'ai plus intention,
C'est maintenant ma moindre affection,
Car celle-là, de qui je cuidais être
Le bien-aimé, m'a bien fait apparaître
Qu'au fait d'amour n'y a que fiction.

Je la pensais sans imperfection,
Mais d'autre ami a pris possession :
Et pour ce, plus ne me veux entremettre
D'être amoureux.

Au temps présent par toute nation
Les dames sont comme un petit scion,
Qui toujours ploie à dextre et à senestre.
Bref, les plus fins ne s'y savent connaître :
Parquoi conclus que c'est abusion
D'être amoureux.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
De l'absent de s'amie

Tout au rebours (dont convient que languisse)
Vient mon vouloir : car de bon coeur vous visse,
Et je ne puis par-devers vous aller.
Chante qui veut, balle qui veut baller,
Ce seul plaisir seulement je voulsisse.

Et s'on me dit, qu'il faut que je choisisse
De par-deçà dame qui m'éjouisse,
Je ne saurais me tenir de parler
Tout au rebours.

Si réponds franc : " J'ai Dame sans nul vice,
Autre n'aura en amour mon service ;
Je la désire, et souhaite voler,
Pour l'aller voir, et pour nous consoler ;
Mais mes souhaits vont, comme l'écrevisse,
Tout au rebours. "

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
De l'amant douloureux

Avant mes jours mort me faut encourir
Par un regard, dont m'as voulu férir,
Et ne te chaut de ma griève tristesse :
Mais n'est-ce pas à toi grande rudesse,
Vu que tu peux si bien me secourir ?

Auprès de l'eau me faut de soif périr.
Je me vois jeune, et en âge fleurir,
Et si me montre être plein de vieillesse
Avant mes jours.

Or, si je meurs, je veux Dieu requérir
Prendre mon âme : et sans plus enquérir,
Je donne aux vers mon corps plein de faiblesse.
Quant est du coeur, du tout je le te laisse,
Ce nonobstant que me fasses mourir
Avant mes jours.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XIII

Languir me fais sans t'avoir offensée :
Plus ne m'écris, plus de moi ne t'enquiers.
Mais nonobstant autre Dame ne quiers :
Plutôt mourir que changer ma pensée.

Je ne dis pas t'amour être effacée,
Mais je me plains de l'ennui que j'acquiers,
Et loin de toi humblement te requiers
Que loin de moi, de moi ne sois fâchée.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XI

Qui veut avoir liesse
Seulement d'un regard,
Vienne voir ma maîtresse,
Que Dieu maintienne et gard !
Elle a si bonne grâce,
Que celui qui la voit,
Mille douleurs efface,
Et plus s'il en avoit.

Les vertus de la belle
Me font émerveiller.
La souvenance d'elle
Fait mon coeur éveiller.
Sa beauté tant exquise
Me fait la mort sentir ;
Mais sa grâce requise
M'en peut bien garantir.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson XIV

D'où vient cela, belle, je vous supplie
Que plus à moi ne vous recommandez ?
Toujours serai de tristesse rempli
Jusques à tant qu'au vrai le me mandez.
Je crois que plus d'Ami ne demandez,
Ou mauvais bruit de moi on vous révèle,
Ou votre coeur a fait amour nouvelle.

Si vous laissez d'amour le train joli,
Votre beauté prisonnière rendez ;
Si pour autrui m'avez mis en oubli,
Dieu vous y doint le bien que y prétendez ;
Mais si de mal en rien m'appréhendez,
Je veux qu'autant que vous me semblez belle,
D'autant ou plus vous me soyez cruelle.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
Au seigneur Theocrenus, lisant à ses disciples

Plus profitable est de t'écouter lire
Que d'Apollo ouïr toucher la lyre,
Où ne se prend plaisir que pour l'oreille :
Mais en ta langue ornée et nonpareille
Chacun y peut plaisir et fruit élire.

Ainsi, d'autant qu'un Dieu doit faire et dire
Mieux qu'un mortel, chose où n'ait que redire,
D'autant il faut estimer ta merveille
Plus profitable.

Bref, si dormir plus que veiller peut nuire,
Tu dois en los par sus Mercure bruire,
Car il endort l'oeil de celui qui veille,
Et ton parler les endormis éveille,
Pour quelque jour à repos les conduire
Plus profitable.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson IX

Quand j'ai pensé en vous, ma bien-aimée,
Trouver n'en puis de si grande beauté :
Et de vertu seriez plus estimée,
Qu'autre qui soit, si n'était cruauté.
Mais pour vous aimer loyaument
J'ai récompense de tourment :
Toutefois quand il vous plaira,
Mon mal par merci finira.

Dès que mon oeil aperçut votre face,
Ma liberté du tout m'abandonna,
Car mon las coeur, espérant votre grâce,
De moi partit, et à vous se donna.
Or s'est-il voulu retirer
En lieu dont ne se peut tirer,
Et vous a trouvée sans si,
Fors qu'êtes Dame sans merci.

Votre rigueur veut doncques que je meure,
Puisque pitié votre coeur ne remord.
Si n'aurez-vous (de ce je vous asseure)
Los ni honneur de si cruelle mort :
Car on ne doit mettre en langueur
Celui qui aime de bon coeur :
Trop est rude à son ennemi,
Qui est cruel à son ami.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
Aux damoiselles paresseuses d'écrire à leurs amis

Bonjour : et puis, quelles nouvelles ?
N'en saurait-on de vous avoir ?
S'en bref ne m'en faites savoir,
J'en ferai de toute nouvelles.

Puisque vous êtes si rebelles,
Bon vêpre, bonne nuit, bonsoir,
Bonjour !

Mais si vous cueillez des groselles,
Envoyez-m'en ; car, pour tout voir,
Je suis gros, mais c'est de vous voir
Quelque matin, mes damoiselles :
Bonjour !

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson VIII

Si de nouveau j'ai nouvelles couleurs,
Il n'en faut jà prendre ébahissement,
Car de nouveau j'ai nouvelles douleurs,
Nouvelle amour, et nouveau pensement.
Deuil et Ennui, c'est tout l'avancement
Que j'ai encor de vous tant amoureuse :
Si vous supplie que mon commencement
Cause ne soit de ma fin langoureuse.

Plût or à Dieu (pour fuir mes malheurs)
Que je vous tinsse à mon commandement :
Ou, pour le moins, que vos grandes valeurs
Ne fussent point en mon entendement :
Car vos beaux yeux me plaisent tellement,
Et votre amour me semble tant heureuse,
Que je languis : ainsi voilà comment
Ce qui me plaît m'est chose douloureuse.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
Des trois couleurs, gris, tanné et noir

Gris, tanné, noir, porte la fleur des fleurs
Pour sa livrée, avec regrets et pleurs :
Pleurs et regrets en son coeur elle enferme,
Mais les couleurs dont ses vêtements ferme
(Sans dire mot) exposent ses douleurs.

Car le noir dit la fermeté des coeurs ;
Gris, le travail ; et tanné, les langueurs ;
Par ainsi c'est, Langueur en Travail ferme,
Gris, tanné, noir.

J'ai ce fort mal par elle et ses valeurs,
Et en souffrant ne crains aucuns malheurs,
Car sa bonté de mieux avoir m'afferme :
Ce nonobstant, en attendant le terme,
Me faut porter ces trois tristes couleurs,
Gris, tanné, noir.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
D'un soi défiant de sa dame

Plus qu'en autre lieu de la ronde,
Mon coeur vole comme l'aronde
Vers toi, en prières et dits :
Mais si âprement l'écondis,
Que noyer le fais en claire onde.

Dont ne puis croire (ou l'on me tonde)
Que ton coeur à m'aimer se fonde,
Quand tous biens me y sont interdits
Plus qu'en autre lieu.

Car il n'y a Princesse au monde
Qui m'aimât d'amour si profonde
Comme celle que tu me dis,
Qui ne m'ouvrît le Paradis
De jouissance, où grâce abonde
Plus qu'en autre lieu.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
De celui qui ne pense qu'en s'amie

Toutes les nuits je ne pense qu'en celle
Qui a le corps plus gent qu'une pucelle
De quatorze ans, sur le point d'enrager,
Et au dedans un coeur (pour abréger)
Autant joyeux qu'eut oncque damoiselle.

Elle a beau teint, un parler de bon zèle,
Et le tétin rond comme une groselle :
N'ai-je donc pas bien cause de songer
Toutes les nuits ?

Touchant son coeur, je l'ai en ma cordelle,
Et son mari n'a sinon le corps d'elle :
Mais toutefois, quand il voudra changer,
Prenne le coeur : et pour le soulager
J'aurai pour moi le gent corps de la belle
Toutes les nuits.

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
De celui qui entra de nuit chez s'amie

De nuit et jour faut être aventureux,
Qui d'amour veut avoir biens plantureux.
Quant est de moi, je n'eus onc crainte d'âme,
Fors seulement, en entrant chez ma Dame,
D'être aperçu des languards dangereux.

Un soir bien tard me firent si peureux
Qu'avis m'était qu'il était jour pour eux :
Mais si entrai-je, et n'en vint jamais blâme
De nuit et jour.

La nuit je pris d'elle un fruit savoureux :
Au point du jour vis son corps amoureux
Entre deux draps plus odorants que basme.
Mon Oeil adonc, qui de plaisir se pâme,
Dit à mes Bras : " Vous êtes bien heureux
De nuit et jour. "

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
Du content en amours

Là me tiendrai, où à présent me tien,
Car ma maîtresse au plaisant entretien
M'aime d'un coeur tant bon et désirable
Qu'on me devrait appeler misérable,
Si mon vouloir était autre que sien.

Et fusse Hélène au gracieux maintien
Qui me vînt dire : " Ami, fais mon coeur tien ",
Je répondrais : " Point ne serai muable :
Là me tiendrai. "

Qu'un chacun donc voise chercher son bien
Quant est à moi, je me trouve très bien.
J'ai Dame belle, exquise et honorable.
Parquoi, fussé-je onze mil ans durable,
Au Dieu d'amour ne demanderai rien :
Là me tiendrai.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson VII

Celle qui m'a tant pourmené
A eu pitié de ma langueur :
Dedans son jardin m'a mené,
Où tous arbres sont en vigueur.
Adoncques ne usa de rigueur :
Si je la baise, elle m'accole ;
Puis m'a donné son noble coeur,
Dont il m'est avis que je vole.

Quand je vis son coeur être mien,
Je mis toute crainte dehors,
Et lui dis : " Belle, ce n'est rien,
Si entre vos bras je ne dors. "
La Dame répondit alors :
" Ne faites plus cette demande :
Il est assez maître du corps,
Qui a le coeur à sa commande. "

(Recueil : L'Adolescence clémentine - Rondeaux)
De celui de qui l'amie a fait nouvel ami

Jusque à la mort Dame t'eusse clamée,
Mais un nouveau t'a si bien réclamée
Que tu ne veux qu'à son leurre venir :
Si ne peux-tu contre moi soutenir,
Pourquoi l'amour dût être consommée.

Car en tous lieux toujours t'ai estimée,
Et si on dit que je t'ai déprimée,
Je dis que non, et le veux maintenir
Jusque à la mort.

Dieu doint que pis tu n'en sois renommée :
Car s'il est su, tu en seras nommée
Femme sans coeur, qui ne se peut tenir
D'aller au change, et à grand tort bannir
Celui qui t'eût parfaitement aimée
Jusque à la mort.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson VI

Amour et Mort m'ont fait outrage.
Amour me retient en servage,
Et Mort (pour accroître ce deuil)
A pris celui loin de mon oeil,
Qui de près navre mon courage.

Hélas, Amour, tel personnage
Te servait en fleur de son âge,
Mais tu es ingrat à mon vueil
De souffrir Guerre et son orgueil
Tuer ceux qui t'ont fait hommage.

Si est-ce à mon coeur avantage,
De ce que son noble corsage
Gît envers, loin de mon accueil :
Car si j'avais vu son cercueil,
Ma grand douleur deviendrait rage.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson première

Plaisir n'ai plus, mais vis en déconfort.
Fortune m'a remis en grand douleur.
L'heur que j'avais est tourné en malheur,
Malheureux est, qui n'a aucun confort.

Fort suis dolent, et regret me remord,
Mort m'a ôté ma Dame de valeur.
L'heur que j'avais est tourné en malheur :
Malheureux est, qui n'a aucun confort.

Valoir ne puis, en ce monde suis mort.
Morte est m'amour, dont suis en grand langueur.
Langoureux suis, plein d'amère liqueur,
Le coeur me part pour sa dolente mort.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson II

Secourez-moi, ma Dame par amours,
Ou autrement la Mort me vient quérir.
Autre que vous ne peut donner secours
A mon las coeur, lequel s'en va mourir.
Hélas, hélas, veuillez donc secourir
Celui qui vit pour vous en grand détresse,
Car de son coeur vous êtes la maîtresse.

Si par aimer, et souffrir nuits et jours,
L'ami dessert ce qu'il vient requérir,
Dites pourquoi faites si longs séjours
A me donner ce que tant veux chérir ?
O noble fleur, laisserez-vous périr
Votre servant, par faute de liesse ?
Je crois qu'en vous n'a point tant de rudesse.

Votre rigueur me fit plusieurs détours,
Quand au premier je vous vins requérir :
Mais Bel Accueil m'a fait d'assez bons tours,
En me laissant maint baiser conquérir.
Las, vos baisers ne me savent guérir,
Mais vont croissant l'ardent feu qui me presse :
Jouissance est ma médecine expresse.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson V

J'attends secours de ma seule pensée :
J'attends le jour, que l'on m'écondira,
Ou que du tout la belle me dira :
" Ami, t'amour sera récompensée. "

Mon alliance est fort bien commencée,
Mais je ne sais comment il en ira :
Car, s'elle veut, ma vie périra,
Quoiqu'en amour s'attend d'être avancé

Si j'ai refus, vienne Mort insensée :
A son plaisir de mon coeur jouira.
Si j'ai merci, adonc s'éjouira
Celui qui point n'a sa Dame offensée.

A une Damoyselle malade
Octobre, 1537

Ma mignonne,
Je vous donne
Le bon jour;
Le séjour
C'est prison.
Guérison
Recouvrez,
Puis ouvrez
Votre porte
Et qu 'on sorte
Vitement,
Car Clément
Le vous mande.
Va, friande
De ta bouche,
Qui se couche
En danger
Pour manger
Confitures;
Si tu dures
Trop malade,
Couleur fade
Tu prendras,
Et perdras
L'embonpoint.
Dieu te doint
Santé bonne,
Ma mignonne.

Des cinq points en amours

Fleur de quinze ans (si Dieu vous sauve et gard)
J'ai en amours trouvé cinq points exprès :
Premièrement, il y a le regard,
Puis le devis, et le baiser après ;
L'attouchement le baiser suit de près,
Et tous ceux-là tendent au dernier point,
Qui est, et quoi ? Je ne le dirai point :
Mais s'il vous plaît en ma chambre vous rendre,
Je me mettrai volontiers en pourpoint,
Voire tout nu, pour le vous faire apprendre.

De soi-même

   

Plus ne suis ce que j'ai été,
Et ne le saurais jamais être ;
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître :
Je t'ai servi sur tous les dieux.
Ô si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !
 
*


Réponse au précédent

Ne menez plus tel déconfort :
Jeunes ans  sont petites pertes ;
Votre âge est plus mûr et plus fort
Que ces jeunesses mal expertes.
Boutons serrés, roses ouvertes,
Se passent trop légèrement ;
Mais du rosier les  feuilles vertes
Durent beaucoup plus longuement.
 
*


Sur le même propos

Pourquoi voulez-vous tant durer,
Et renaître en fleurissant âge ?
Pour aimer et pour endurer ?
Y trouvez-vous tant d'avantage ?
Certes celui n'est pas bien sage
Qui quiert deux fois être frappé,
Et veut repasser un passage
Dont il est à peine échappé.

(Recueil : L'Adolescence clémentine)
Chanson IV

Jouissance vous donnerai,
Mon Ami, et si mènerai
A bonne fin votre espérance.
Vivante ne vous laisserai ;
Encore, quand morte serai,
L'esprit en aura souvenance.

Si pour moi avez du souci,
Pour vous n'en ai pas moins aussi,
Amour le vous doit faire entendre.
Mais s'il vous grève d'être ainsi,
Apaisez votre coeur transi :
Tout vient à point, qui peut attendre.