Mythologie française
Yves Sagnier

Je vais donner ici un petit aperçu de la mythologie française.

Le terme « française » veut dire ici que ses thèmes récurrents ont été trouvés à partir de recueils de mythes et légendes locaux. Mais certains récits et personnages se retrouvent dans d'autres pays avoisinants (Angleterre, Italie..).

Contrairement aux mythologies plus connues en France (!), comme la gréco-romaine et l'égyptienne, on ne peut pas parler d'un panthéon bien défini. Les personnages sont issus de traditions pré-celtiques (qui était là avant, au fait ?), puis celtiques, puis romaines, puis chrétiennes. Chaque nouvelle arrivée apportait des éléments nouveaux, mais on peut aussi trouver des personnages pré-existants qui ont été travestis et renommés à chaque fois, et qui sont donc demeurés présents à travers les âges. En fait, ils ont été présents jusqu'à la guerre 14. On s'est aperçu que la guerre a complètement bouleversé les traditions, les hommes sont partis, les femmes ont travaillé dans les usines, et le nouveau mode de pensée plus urbain qui a suivi a fait disparaître moult choses, y compris dans la mémoire des gens.

Heureusement, il y a eu au XIXème siècle des lettrés qui se sont intéressés aux mythes populaires et les ont transcrits. Au XXème siècle, au moins deux personnes ont continué leur travail, cherchant les dernières veines du gisement : Paul Sébillot et Henri Dontenville. Ce dernier a fondé la société de mythologie française vers 1950, qui existe toujours et est présidée par Bernard Sergent, l'auteur de livres très intéressants, sur les indo-européens (1995), puis les grecs et encore d'autres. Cette société édite un bulletin trimestriel (BSMF) depuis 1950. On le trouve dans pas mal de bibliothèques (Ste Geneviève à Paris), mais le seul endroit où je crois qu'ils sont tous est la bibliothèque de Beauvais (où je me rends de temps à autres).

Le personnage principal de la mythologie française est Gargantua. Naguère encore je pensais qu'il avait été inventé par Rabelais mais pas du tout. Rabelais s'est inspiré d'un ouvrage existant d'un certain Billon, et celui-ci avait repris un personnage populaire très ancien. Dans le texte de Rabelais, sous une couche ajoutée par l'auteur, on retrouve des éléments réels de la vieille mythologie française. Une étude poussée a été faite par Dontenville, dans "La Mythologie française" (1949, réédité en 1972 puis 1998 chez Payot), et « Dits et Récits de la Mythologie française » (1950, épuisé, mais on doit retrouver le texte dans les BSMF).

Mais le personnage est donc beaucoup plus vieux, et on en trouve les traces partout en France. Outre des monts Gargan (ancien nom du Mont Saint Michel en passant), beaucoup de légendes locales attribuent à Gargantua la paternité de monts, de roches exotiques, de trous etc., qu'il aurait faits sans s'en rendre compte vue sa taille (qui varie d'ailleurs pas mal). A chaque fois, c'est parce que Gargantua est tombé là, ou a vidé ses chaussures (les grosses pierres étant des cailloux pour lui) etc. Gargantua lui-même est le fils d'un dieu pré-celtique, mais que ceux-ci ont repris en l'appelant Belen, noté Bélénos par les Grecs qui sont venus en Gaule, puis Belinus par les Romains (qui a donné le nom Belin en France). Ce dieu était à l'origine le soleil. On pensait que celui-ci sortait de la mer et finissait le jour dans des grottes lointaines (ou l'inverse). Ces grottes situées dans des montagnes expliquent pourquoi la naissance de Gargantua ou ses faits hors du territoire se rapportent souvent à des montagnes éloignées.

D'autres parents sont attribués à Gargantua ; Grangousier et Galemelle (Gargamelle chez Rabelais), eux aussi géants, souvent associés à des monts voisins, ou des rochers appariés comme Tombelaine  (Tombe-Belen).

Gargantua - et ou Bélénos (parfois confondus) - a été associé à Mercure, puis Saint Michel : voir le mont Mercure en Vendée, où on a bâti une église avec une statue de Saint Michel, et aussi le nom du Mont Gargan donné à l'archange (il existe d'ailleurs un Mont Gargan en Italie qui a aussi été réattribué à St. Michel).

Parfois, c'est Saint Martin qui a bénéficié du changement de locataire, ou encore St. Christophe, ou d'autres.

Gargantua est donc le personnage principal de la mythologie française (c'est à dire l'ensemble des mythes qu'on retrouve sur le territoire actuel de la France, avec des débordements frontaliers).

En étudiant des légendes diverses retrouvées dans des textes pseudo-historiques, on s'est aperçu que plusieurs récits concordaient sur son origine comme fils du Dieu Belen(os). Ce dieu est antérieur aux Celtes, la racine « Bel » - qui signifie « éclat, brillant » - se retrouvant dans des noms attestés comme étant plus vieux. Il y a en France de multiples sites dont le nom comporte cette racine, pas mal de cours d'eau d'ailleurs.

Belen était le Dieu des peuplades primitives, c'est à dire le soleil. Il a d'ailleurs été identifié avec l'Apollon gréco-romain (il est même possible que les deux noms dérivent de la même syllabe). Maintenant, voici la partie qui me sidère le plus (normal, pour le dieu soleil) : on arrive à extraire de mythes très anciens des traits communs sur la manière de concevoir le trajet quotidien du soleil. Les moments les plus importants dans la journée sont l'aube, le zénith (midi normalement) et le coucher. Ceci a créé des mythes basés sur un aspect triple du dieu, comme si chaque point de sa course révélait un aspect différent.

Par la suite, un quatrième point s'est ajouté, basé dans le monde souterrain où l'on pensait que le dieu passait la nuit (une autre hypothèse était que ce n'était pas le même soleil qui passait chaque jour, mais un nouveau créé à l'est dans la mer). Ce monde souterrain était supposé être une sorte de marécage sombre dans une vaste grotte car la mer et les montagnes semblaient entourer les terres de tous côtés. Ce monde souterrain était parfois perçu comme un lieu où le dieu soleil était vaincu, soumis, ce qui a donné naissance à l'idée des enfers sous terre et des histoires de dieux/héros voyageant aux Enfers souterrains pour y souffrir avant de renaître (Ishtar).

Les 4 points forment une croix céleste, symbole qu'on retrouve partout en archéologie.Le cycle du soleil a donné naissance à des récits de dieux crucifiés qui renaissent ensuite. Dans le nouveau testament, le dernier jour du christ suit l'enchaînement des 3 moments forts de la journée.

Revenons à Gargantua : il serait en fait un des 3 aspects du dieu soleil.

  1. L'aspect triomphant, au zénith, serait Bel (devenu Belen, puis Belenos et Belinus),
  2. Gargan(tua) serait l'aspect du couchant (dans toutes les légendes, Gargantua est lié à l'ouest).

Et le 3ème, me demanderez-vous ? Eh bien il semble que le 3ème s'appelle Morgan(t). Ce nom revient pas mal dans les textes folkloriques et est lié au lever du soleil. Cela se retrouverait dans le mot allemand « Morgen » (matin), mais aussi dans le nom de la fée Morgane (antérieure au cycle d'Arthur et Merlin). Une fée dont le nom est associé au lever du soleil (Aurore), ça ne vous rappelle rien ?

Et maintenant le plus fort : il existe un mont sur la frontière franco-italienne dont le versant français (ouest) s'appelle Gargan, l'italien (est) est Morgant, et le sommet est le mont Bal.

Encore une précision : Gargantua est composé de « Gargan » le nom initial d'un dieu (fils/aspect de Belen), et du suffixe « tua ». Ce dernier se retrouve dans des noms de peuples ou tribus locaux qui sont voués à un dieu ou un lieu. « Gargantua » signifie donc « dévoué à Gargan ». Le nom de "Gargan"  lui-même prête à plusieurs interprétation.

À suivre :-) (Mélusine, les 4 fils Aymon, le cheval Bayart, les dragons etc.)