La symétrie CPT et L'antimatière

Yves SAGNIER

Table des matières


1 Préambule

Dans l'étude des processus physiques, on a depuis toujours essayé de voir comment tel ou tel phénomène réagissait à certaines transformations. Par exemple, comment la vitesse et la position d'un mobile pouvaient varier suivant le référentiel dans lequel elles étaient mesurées (transformations de Galilée).

Toutes les transformations applicables aux événements physiques peuvent être regroupées en deux catégories :

a) les transformations d'espace-temps (rotation, symétries) qui affectent finalement davantage le repère dans lequel sont effectuées les mesures que le système mesuré lui-même1;

b) les transformations internes au système étudié qui modifient ce dernier (par exemple le remplacement des charges électriques par leurs opposées).

Une recherche corollaire a été de trouver des symétries dans les lois de la physique, c'est à dire les transformations par lesquelles l'image de l'univers (dans son entier) reste identique à l'univers lui-même. Le terme "identique" ne signifie pas "égal" : il veut simplement dire que les mêmes phénomènes physiques se produiront dans l'univers et dans son image, et que la description exhaustive de tout ce qui peut se produire dans ces deux univers ne permettra pas de différencier l'un de l'autre. En particulier, dans le domaine de la physique des particules, toute particule existant dans l'univers doit aussi se retrouver dans l'image et réciproquement.

L'exemple le plus facile est la translation d'espace : si l'on déplaçait tout l'univers de un mètre dans une certaine direction2, aucune loi de la physique n'en serait perturbée, les mêmes phénomènes microscopiques et macroscopiques se produiraient (bien sûr, dans ce cas, l'image est réellement égale à l'univers du départ, hormis les positions déplacées). Dans la réalité, ce n'est pas l'univers qu'on déplace mais le point à partir duquel on mesure certaines choses, et le fait est que cela n'a aucune incidence sur la nature de ce qui est observé. C'est donc une symétrie d'espace-temps.

Au début du XXème siècle, une mathématicienne allemande nommée Emmy Noether a démontré que pour une transformation donnée, il y avait inférence entre 3 propriétés3 :

1) la transformation ne modifie pas la nature de l'univers (symétrie);

2) il n'y a pas de référence absolue pour la mesure des quantités affectées par la transformation (relativité).

3) cette transformation conserve certaines quantités (lois de conservation);

Dans "la Matière Espace-Temps", [Ref.4, p.107], on trouve pour illustration le tableau suivant qui regroupe les exemples valables dans la mécanique classique (non relativiste, non quantique) :

Références absolues inobservables

Symétries

Quantité conservée

Origine du temps

translation dans le temps

Énergie E

Origine de l'espace

translation dans l'espace

Impulsion

Direction privilégiée

Rotation dans l'espace

Moment cinétique

Ces symétries restent d'ailleurs valables en relativité générale et en mécanique quantique, mais d'autres s'y ajoutent. Ce qui nous intéresse surtout dans cette note est l'ensemble de trois transformations désignées par les lettres C, P et T :

Lettre

Intitulé

signification

C

Conjugaison de charge

transforme une particule en son antiparticule

P

Conjugaison de Parité

inverse le signe d'un axe spatial (réflexion-miroir)

T

Inversion Temporelle

inverse le signe de l'axe des temps

Il existe un théorème (ou principe?), dit CPT selon lequel l'univers est invariant (au sens indiqué ci-dessus) par rapport à l'application de ces 3 transformations simultanées. On pensait autrefois qu'il l'était également vis à vis de chacune de ces transformations appliquées séparément, mais on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. Cela dit, ces violations sont relativement peu nombreuses et bien identifiées.

En revanche, la symétrie CPT a toujours été observée. Elle implique que la masse et la durée de vie d'une particule sont exactement celles de son antiparticule, fait toujours vérifié. La violation de CPT aurait des conséquences énormes à la fois sur la physique des particules et sur la relativité générale. Selon les propres mots d'Abraham Païs (rapportés par Martin Gardner [Réf.2]), "Ce serait l'enfer".

2 Remarques préalables sur la Conjugaison de Charge

Le terme "charge" est ici assez malheureux parce qu'il fait automatiquement panser à la charge électrique, or ce n'est pas le seul paramètre modifié par la conjugaison de charge C. Il aurait mieux valu l'appeler "Conjugaison de Matière", puisque son effet est de transformer une particule en son antiparticule.

Cela dit, il est exact que le terme "charge" peut être employé dans un sens plus vaste que celui de l'interaction électrique. Dans le Glossaire de "La Matière Espace-Temps" [Ref.4, p.366], les définitions suivantes lui sont données :

Charge : Quantité physique conservée en liaison avec la relativité de la phase des champs de matière. La charge définit l'intensité du couplage dans l'interaction électromagnétique. Par extension, on utilise le terme de charge pour caractériser le couplage dans les interactions ("charge" de couleur, "charge" faible par exemple").

Les champs de matière dont il est question dans la première phrase sont ceux définis dans le cadre de l'électrodynamique quantique de Feynman (QED). La seconde phrase, elle, ne pose pas de problème. La troisième phrase propose une extension du sens du mot à d'autres interactions (chromodynamique quantique, théorie électro-faible). La gravitation n'y est pas citée, mais pourquoi pas?

En fait, si l'on veut que le mot charge corresponde bien à ce qui est inversé par la transformation C, il faut retenir les 3 premiers mots : "quantité physique conservée", ce qui est vague mais correspond aux valeurs propres d'observables qui sont elles-mêmes conservées dans certains processus de transformation (on y reviendra).

Pour bien voir ce quelles quantités sont inversées par C, la meilleure méthode est de considérer tous les cas possibles. A cette fin, il est nécessaire de faire un rapide exposé sur la classification des particules élémentaires de matière et de leurs interactions.

3 la matière

3.1 classification

Les particules "élémentaires" peuvent justement être classées en fonction des interactions auxquelles elles participent.

Nous savons qu'il existe 4 interactions fondamentales, qui sont :

la gravitation

responsable de l'attraction mutuelle entre tous les objets massifs (d'où mouvements planétaires, chute des corps etc.)

l’électromagnétisme

responsable de l'attraction ou la répulsion mutuelle des corps chargés électriquement et de la déviation des courants (particules chargées en mouvement)

force nucléaire faible

responsable de la désintégration β des noyaux atomiques (expulsion d'électrons)

force nucléaire forte

responsable de la cohésion des noyaux atomiques (les nucléons devraient naturellement s'éloigner les uns des autres)

On considère de plus en plus qu'elles sont toutes 4 issues d'une même et unique force primordiale, leurs aspects différents actuels s'expliquant "historiquement" par des phénomènes de "brisures de symétrie" survenus dans les tous premiers instants de l'univers. On a déjà réussi à unifier la force électromagnétique et la force faible (sous le nom d'"électro-faible").

On classe alors les particules en 2 grandes catégories : les leptons et les hadrons, sur le critère que les hadrons sont les seuls à participer à l'interaction forte. En revanche, tous les leptons et tous les hadrons participent aux 3 autres interactions (même les corps soi-disant "neutres" qui ne le sont qu'en globalité). Les seules exceptions pourraient être les particules sans masse vis à vis de la gravitation (mais cela ne les empêche pas de suivre les géodésiques déformées par les corps massifs)4.

Il existe une autre classification, transversale de la précédente, liée au spin des particules et à la statistique qui décrit leur comportement "grégaire". Le spin est une sorte de moment cinétique propre qui fait penser à la rotation propre des charges électriques composant la particule. En fait, c'est plus compliqué que cela car il y a peu de chance que les particules tournent vraiment, et même des particules "neutres" ont un spin (par exemple le neutron, mais on pense qu'il est alors dû aux particules virtuelles chargées qui se créent et s'annihilent en permanence autour de lui). Il faut simplement retenir que le spin est un nombre quantique décrivant un certain état d'orientation de la particule, et qu'il se manifeste dans certaines interactions comme l'équivalent d'un moment cinétique propre5. Le spin est quantifié et toujours multiple ou demi-multiple de la valeur h/21 (h est une constante appelée constante de Planck). Il peut par ailleurs être positif ou négatif (comme tout moment cinétique, sa valeur dépend de l'axe par rapport auquel on le mesure, et son signe de l'orientation de cet axe).

Il s'avère donc que certaines particules ont un spin demi-entier6, alors que d'autres ont un spin entier. Les premiers subissent le principe d'exclusion (de Pauli), c'est à dire qu'ils ne peuvent jamais se trouver à deux dans le même état (tous les nombres quantiques les décrivant ne peuvent pas être égaux). Leur comportement est modélisé par la statistique de Fermi-Dirac : ce sont des fermions. Les autres sont plus "sociaux" et peuvent se regrouper dans un état identique ; sujets à la statistique de Bose-Einstein, ce sont des bosons.

En fait, pour les particules élémentaires7, les fermions correspondent aux particules de matière tandis que les bosons sont les particules d'interaction (ou messagers, ou encore médiateurs), c'est à dire des particules qui, échangées entre fermions, ont une action élémentaires sur ceux-ci, qui correspond à celle du champ d'interaction (c'est la seconde quantification, la première n'ayant fait surgir que des champs).

Par exemple, le boson électromagnétique est le photon. Les modifications du champ électromagnétique qui font bouger les particules chargées dans un sens ou l'autre peuvent être interprétées comme l'émission et l’absorption de photons par les fermions chargés.

Notre classification est donc maintenant nantie de 4 classes : les leptons fermions, les leptons bosons, les hadrons fermions et les hadrons bosons. Nous allons voir dans le détail comment elles réagissent entre elles.

3.2 détail des interactions

Les leptons fermions sont les particules de la famille de l'électron. Le terme "lepton" signifie (en grec) "léger", car les leptons ont effectivement une masse faible. Néanmoins, parmi eux certains sont encore plus légers que d'autres. On peut les ranger en deux catégories : les leptons "massifs" et les leptons "ultra-légers" (entre lesquels existe une association deux à deux). Les leptons massifs comprennent 3 particules nommées (dans l'ordre croissant de leur masse) électron, muon et tauon (e, μ et τ), tandis que les ultra-légers sont les neutrinos. Associés chacun à un lepton massif, ils s'appellent respectivement neutrino électronique, muonique et tauonique (νe, νμ et ντ). Les neutrinos sont des particules très fugitives et discrètes dont on ne sait même pas si elles ont une masse.

Ces 6 leptons possèdent chacun leur antiparticule. Pour les trois premières, il suffit de changer la charge électrique mais pour les neutrinos, c'est plus compliqué ou plus simple : c'est la direction de leur spin par rapport à celle de leur déplacement (hélicité) qui est inversée (ce qui est d'ailleurs paradoxal car la conjugaison de charge est censée ne pas modifier l'hélicité).

Le photon, boson médiateur de l'interaction électromagnétique, est parfois classé comme étant un lepton. Il a un spin égal à un.

L'interaction faible côté lepton est la transformation d'un électron, muon ou tauon en son neutrino associé (ou inversement) ou la production (ou la disparition) simultanée d'un couple lepton massique/anti-neutrino associé, ce qui revient presque au même. Des réactions identiques (conjuguées) apparaissent bien sûr côté antimatière. Ces réactions nécessitent l'intervention d'un troisième partenaire : un lepton boson (faible). Il en existe 3 : les W+ et W-, ainsi que le Z°8. Ce sont les médiateurs de l'interaction faible.

Côté hadron, l'interaction faible se manifeste autrement. Les hadrons sont en fait composés de quarks. Ces derniers restent confinés par 2 ou par 3 à l'intérieur des hadrons (on n'a jamais vu un quark s'aventurer tout seul dans la nature). Ils possèdent deux attributs spécifiques : la saveur (ou parfum) et la couleur.

Il existe 6 saveurs : up; down, strange, charm, bottom (ou beauty) et top (ou truth) qui correspondent aussi à 6 masses différentes bien distinctes (nommées ici dans l'ordre croissant). Ils portent chacun une charge électrique multiple du tiers de la charge du proton9, suivant le tableau suivant [Réf. 5 , page 236]:

Nom

Symbole

Masse rapportée à celle de l'électron (approximativement)

Charge électrique rapportée à celle du proton

Up

u

2 2/3

Down

d

6 -1/3

Strange

s

200 -1/3

Charm

c

3000 2/3

Bottom (ou Beauty)

b

9000 -1/3

Top (ou Truth)

t

inconnue 2/3

Chacun de ces quarks possède son antiparticule, de même masse, de même saveur, mais de charge électrique opposée.

Les appellations baroques des saveurs proviennent de l'ordre dans lequel elles ont été découvertes. Au départ, on ne connaissait que up (vers le haut) et down (vers le bas), nommées ainsi parce qu'elles correspondaient à une valeur respectivement positive et négative d'un nombre quantique appelé isospin du nucléon. L'étrangeté (strangeness) trahit la surprise éprouvée par les physiciens quand ils se sont aperçu que ces 2 premières saveurs ne suffisaient pas pour classer tous les hadrons. Ils ont alors inventé un nombre quantique additif appelé "l'étrangeté", avant de se rendre compte qu'il correspondait (au signe près) au nombre de quarks d'une nouvelle espèce "étranges" contenus dans le hadron. La saveur "charmée" a été inventée avant même de la découvrir car elle expliquait la désintégration de certains mésons. La saveur "b" signifiait bien beauté à l'origine, quand on est tombé dessus par hasard. Mais pour que la théorie grande unifiée tienne debout (correspondance leptons-hadrons), il fallait qu'il existe une sixième espèce de quark. De sa découverte proviendrait la vérité (Truth, d'où t). Plus tard, pour avoir un vocabulaire "symétrique", b et t se transformèrent en bottom (au fond) et Top (en haut).

Vu les masses des trois derniers quarks, leurs saveurs apparaissent rarement dans les particules couramment rencontrées. Quant au terme "saveur" ou "parfum" lui-même, il provient de ce que les théoriciens avaient d'abord songé à donner des noms de parfums de confiserie (!) aux quarks tels que chocolat, vanille et fraise. Malheureusement (ou heureusement diront certains), cette appellation n'a pas suivi.

Les hadrons fermions sont nommés baryons. Ils se composent de 3 quarks. Par exemple, un proton est composé de 2 quarks up et d'un down (uud) alors que le neutron est lui composé d'un up et de deux down (udd). Ceci explique entre autres pourquoi le neutron est de charge électrique nulle (2/3 - 1/3 - 1/3), alors que le proton ne l'est pas (de charge 2/3 + 2/3 - 1/3 = 1). En revanche, les hadrons bosons composites (voir plus loin) sont nommés mésons, et comportent chacun un quark et un antiquark (parfois le même, ce qui garantit alors une vie très courte10).

Pour un hadron, l'interaction faible se manifeste par le changement de saveur de l'un de ses quarks. Par exemple, d peut se changer en u. Ceci nécessite encore l'intervention d'un boson faible, l'un des mêmes leptons W cités ci-dessus. On peut expliquer maintenant totalement le phénomène de désintégration β. Rappelons qu'il s'agit de la transformation d'un neutron en proton plus électron plus antineutrino :

Au niveau nucléaire, l'un des quarks d du neutron se transforme en quark u avec émission d'un boson W-. Celui-ci, à son tour, se transforme en électron et antineutrino, conformément au diagramme "de Feynman" suivant :

Dans un tel diagramme, le temps s'écoule suivant l'axe horizontal. Les lignes orientées désignent des fermions. Les antiparticules se distinguent par leur sens rétrochrone, bien que l'antineutrino ci-dessus soit bien produit par le W- en même temps que l'électron (ce sens inversé du temps a une raison précise, bien sûr, nous y reviendrons). L'endroit où se croisent les lignes du diagrammes (qu'on appelle propagateurs) sont des vertex. C'est là qu'interviennent les constantes de couplage (ici faible en l'occurrence), ainsi que les charges, le produit de l'ensemble déterminant l'intensité de l'interaction.

L'interaction forte fait intervenir une autre qualité des quarks : leur couleur. La couleur est un attribut quantique qui s'est avéré nécessaire avant même de l'interpréter vis à vis de l'interaction forte ; en effet, le hadron Ώ- est un hypéron constitué de 3 quarks étranges 's' qui possèdent tous les 3 le même spin, ce qui contredit le principe d'exclusion fermionique. Il fallait donc qu'il existât un autre attribut, possédant 3 valeurs distinctes pour expliquer cet état de fait. C'est la couleur.

Bien sûr, le terme" couleur" est aussi arbitraire que celui de "saveur" et ne représente pas chez les quarks ce qu'on entend d'habitude par cette notion dans notre monde macroscopique. Sur la lancée, on a désigné les 3 états de couleur possible par des... couleurs, à savoir rouge, vert (ou jaune) et bleu. Qu'il soit u, d, s, c, b, ou t, un quark est donc en plus rouge, vert ou bleu. Les hadrons composite, baryons ou mésons sont coloriquement (ou chromatiquement) neutres : les 3 quarks d'un baryon ont chacun une couleur différente (la somme des 3 couleurs de base donne la neutralité) tandis que les 2 quarks d'un méson portent des couleurs opposées (il existe en effet pour chaque couleur son anti-couleur, qui est portée par un antiquark).

L'interaction forte se traduit chez le quark par un changement de couleur. Bien sûr, il faut un médiateur (boson hadron élémentaire) pour compléter le tableau : c'est le gluon (ainsi appelé parce qu'il "colle" les quarks les uns aux autres au sein des hadrons composites).

Le gluon est réellement un boson d'échange : quand il rencontre un quark, il lui prend sa couleur, mais lui en donne une autre (qu'il a prise ailleurs, bien sûr). Un gluon donné ne peut pas prendre n'importe quelle couleur, mais seulement l'une d'entre elles : un gluon porte en fait une couleur et une anti-couleur. par exemple, un gluon rouge/anti-bleu (noté ) peut changer un quark bleu en rouge et c'est tout (après quoi il disparaît, d'ailleurs).

Ce est né du changement d'un quark rouge en bleu, comme illustré ci-dessous :

On a mesuré qu'au sein d'un baryon, les gluons présents représentent la moitié de la quantité de mouvement (l'autre provenant bien entendu des quarks), ce qui veut dire qu'il y a sans cesse échange de couleurs entre quarks.

Remarque : le gluon est réellement le boson médiateur de l'interaction forte. Les mésons sont aussi des bosons mais "composites" (formés de quarks et de gluons). Hideki Yukawa avait postulé dès les années 30 qu'il devait exister de tels mésons, et qu'ils étaient les médiateurs. Cela mena d'abord à la découverte du muon (qui est un lepton), puis à celle du méson π, qui est lui, un méson hadron (et qui se transforme parfois en muon par interaction faible, ce qui devait compliquer la vision des physiciens à cette époque. Voir à ce sujet l'historique qui en est relaté dans le livre de Jeanne Laberrigue-Frolow [Réf. 3]).

Mais les mésons ne sont pas les vrais médiateurs forts, bien que la cohésion des noyaux soit due, elle à l'échange de mésons entre baryons (voir schéma ci-dessous extrait de [Réf. 6, P. 214]):

Et la gravitation? Comme on l'a dit, elle touche à peu près tout le monde, mais il n'existe à ce jour aucune théorie quantique du champ de gravitation (du moins qui marche). Celle-ci fait hypothétiquement intervenir un boson appelé graviton, qui doit être de spin 2 et sans masse (car l'interaction est de portée infinie). Les charges de couplage sont les masses des particules.

Le tableau suivant résume les constituants de la matière :


Fermions

Bosons

Leptons

massiques : e, μ et τ

neutrinos : νe, νμ et ντ

Photon γ

Bosons W+, W-, Z°

Hadrons

Quarks u, d, s, c, b, t

Baryons composites

gluons

Mésons composites

et celui-ci (dérivé de celui donné par H. Pagels [Réf. 5, page 239]) les interactions et les particules qui y participent :

Interaction

Qui y est sensible?

médiateur

charge

Effet

Gravitation

toutes particules massiques

graviton (hypothétique)

masse grave

gravité, cosmologie, chute des corps

électromagnétique

toutes

photon γ

charge électrique

Ondes électromagnétiques, lie les électrons au noyau

Faible

toutes sauf photon

bosons W et Z

charge faible

désintégration radioactive

Forte

hadrons seulement

gluons colorés

couleur

confine les quarks au sein des hadrons, stabilise les noyaux atomiques

Remarque : les interactions électromagnétiques et fortes ont été modélisées suivant une théorie quantique des champs (théorie qui étudie un champ d'interaction et où les particules apparaissent comme des productions de ce champ). Pour la première, cette théorie est la QED (Quantum ElectroDynamics) et pour la seconde la QCD (Quantum ChromoDynamics).

4 l'antimatière

4.1 Caractéristique

Maintenant qu'on sait tout sur les particules et leurs interactions, qu'est-ce qui change dans une particule si on la transforme en son antiparticule?

Dans tous les cas, les quantités inversées par la conjugaison de charge sont les charges de couplage des interactions fondamentales : charge électrique, couleur et charge faible11. La gravitation n'est pas concernée : une particule d'antimatière a une masse positive.

La question "a-t-on tous les paramètres définissant la différence matière-antimatière?" semble résolue. Mais sont-ils liés entre eux? Par exemple, ne peut-on pas envisager qu'il existe une particule de matière (fermion) de même masse que l'électron, de charge opposée et qui ne soit pas un positron, c'est à dire qui mise en présence d'un électron ne s'annihile pas avec lui, parce que sa charge faible elle n'est pas l'opposée de celle de l'électron? La fusion des interactions électromagnétique et faible donne à penser que les deux sont liées nécessairement.

Il semble alors que l'annulation réciproque des charges lors de l'interaction de deux particules conjuguées est suffisante pour en quelque sorte désenclaver l'énergie qui avait été "emprisonnée" sous forme de matière, et qu'il n'existe aucun autre paramètre qui fait que la "masse" du positron par exemple ne serait pas de même nature que celle de l'électron (mais inversée?).

En revanche, une question qui reste est : « qu'est-ce que l’antimatière, par rapport à la matière? » La question corollaire est : « étant donnée une particule, est-ce de la matière ou de l'antimatière?12 ».

4.1.1 Rappel sur la mécanique quantique

On sait qu'en mécanique quantique, l'état d'un système d'une manière générale est une fonction d'onde y à laquelle on fait correspondre un vecteur |y> normé d'un espace complexe de Hilbert. Les états observables ou mesurables d'un système sont les valeurs propres d'un opérateur hermitien appelé observable. A toute opération de mesure correspond donc une observable qu'il faut "tailler sur mesure" (l'espace de Hilbert aussi d'ailleurs). Par exemple, les valeurs possibles de l'énergie d'un système sont les valeurs propres de l'opérateur H appelé aussi Hamiltonien. Une valeur propre d'un opérateur A est un nombre a pour lequel il existe un vecteur |a> tel que : A |a> = a |a>. |a> est alors appelé un "état propre" de l'opérateur A, pour la valeur propre a.

Dans la pratique, pour un opérateur donné, on cherche à trouver une base de l'espace de Hilbert composée uniquement d'états propres |ei>.

Chacun d'entre eux vérifie A |ei> = ai |ei>. Dans ce repère, la matrice de A est diagonale et les ai correspondent aux nombres sur la diagonale.

Si le système est dans l'état y, le vecteur associé |y> se décompose dans la base des |ei>, sous la forme:

Dans ce cas, |θi|2 est la probabilité que la mesure correspondant à A donne la valeur ai.

L'état du système avant mesure est y (ou |y>, cela revient au même). Après la mesure, il est dans l'état |ei>,correspondant à la valeur propre trouvée ai. Il est "stabilisé".

Dans les années 30, Erwin Schrödinger, farouche opposant du caractère indéterministe et discret de la mécanique quantique trouva une formule apparemment continue qui décrit l'évolution probable d'un système dans l'état |y> :

où H est le Hamiltonien déjà décrit et le rapport h/2π (h est la constante de Planck).

H s'écrit sous la forme , où Δ est le Laplacien (somme des carrés des dérivées secondes partielles) et V un potentiel d'interaction dans lequel est plongé le système. L'apparente continuité de cette équation est une illusion car dans le cas d'une particule, y est l'onde de "probabilité" de présence et son interprétation ramène la caractère discontinu de la mécanique quantique. En effet, comme le prouva Max Born, la probabilité de trouver la particule à l'instant t dans un volume d3r entourant le point est [Réf.7]:

On rapporte que, dépité de l'infructuosité de sa démarche, Schrödinger s'exclama : "Si j'avais su que je parviendrais pas à me débarrasser de ce damné saut quantique, je ne me serais jamais lancé dans cette entreprise". Il n'empêche que sa formulation continue est utilisée depuis lors par tous.

4.1.2 L'opérateur C

En mécanique quantique, on définit un opérateur C dont l'action est de transformer tous les nombres quantiques additifs13 en leur opposés.

Ces nombres comprennent la charge électrique, le nombre leptonique (électronique, muonique, tauonique), l'isospin, l'hypercharge, l'étrangeté, la couleur, le nombre baryonique.

En général, il n'y a aucune définition en compréhension (formulation d'une propriété globale) de l'ensemble de ces nombres inversés, mais seulement en extension (énumération du catalogue). Mais en fait, ils se ramènent tous d'une manière ou d'une autre aux charges d'interaction.

L'isospin est un nombre quantique "inventé" par les premiers physiciens de la mécanique quantique qui pensaient que le neutron et le proton étaient deux états d'une même particule. La composante verticale I3 de l'isospin prenait la valeur 11/2, ce qui reliait la charge électrique Q à I3 par la formule : Q = I3 + B/2, où B est le nombre baryonique (qui valait 1 pour un baryon et 0 pour les autres). Par la suite, la découverte d'autres baryons, dont les particules étranges amenèrent à introduire un nouveau nombre quantique S. L'hypercharge Y définie comme la somme B + S permettait de conserver pour tous les baryons connus à l'époque la formule Q = I3 + Y/2. Cette formule marche pour les baryons composés des quarks u, d et s, c'est à dire ceux du groupe SU(3). Les quarks par ailleurs se voient attribuer le nombre baryonique 1/3 chacun.

A part le photon π et le méson π° qui sont leur propre antiparticule, les états propres de l'opérateur C sont des états superposés d'une particule et de son antiparticule, du style dont les valeurs propres sont respectivement 1 et -1.

4.2 l'antimatière selon Dirac

4.2.1 L'équation relativiste14

Le problème est que l'équation de Schrödinger sous sa forme classique est non relativiste, c'est à dire qu'elle n'est pas invariante par la transformation spéciale de Lorentz.

Il existe une équation d'onde relativiste appelée équation de Klein-Gordon :

En 1928-29, Dirac essaya de trouver une nouvelle formulation de l'équation de Schrödinger pour l'électron qui fût invariante par la transformation de Lorentz. L'équation de Klein-Gordon présentait le désavantage de pouvoir mener à des probabilités négatives (pas le temps d'expliquer ici), aussi Dirac proposa-t-il l'équation suivante :

Il faut remarquer que chaque αμ, ainsi que β (aussi noté parfois α0 car il correspond à la dimension temporelle) sont en fait des matrices 4x4 (appelées matrices de Dirac), la fonction y étant un vecteur composé de 4 yj (c'est un spineur). Chaque yj satisfait, lui, l'équation de Klein-Gordon.

A noter que cette équation introduit, outre la relativité, le spin de l'électron (ça ne se voit peut-être pas au premier coup d'oeil). Le second est la conséquence de la première.

Après 10 pages de calcul (véridique), on trouve qu'il existe 4 solutions à l'équation. Deux d'énergie positive et deux d'énergie négative, chacun des états d'énergie identique étant départagé par un état de spin (positif ou négatif). La nouveauté, c'était les énergies négatives, dont la présence provenait directement du caractère relativiste de l'équation de Dirac. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier?

4.2.2 La théorie des "lacunes"15

En relativité, l'énergie d'une particule est . Dans cette expression, m0c2 représente l'énergie au repos. Pour un électron, par exemple, il n'y a pas de valeur d'énergie possible entre -m0c2 et +m0c2. Il existe un "gap" d'énergie infranchissable en théorie classique où les variations d'énergie sont continues, mais pas du tout impensables en mécanique quantique.

Il constate aussi : "un électron dans un état d'énergie négative est un objet tout à fait étranger à notre expérience, mais que nous pouvons cependant étudier du point de vue théorique ; nous pouvons, en particulier, prévoir son mouvement dans un champ électromagnétique quelconque donné. Le résultat du calcul, effectué soit en mécanique classique, soit en théorie quantique, est qu'un électron d'énergie négative est dévié par le champ exactement comme le serait un électron d'énergie positive s'il avait une charge électrique positive +e. [..] Ainsi, un électron avec une énergie négative se meut dans un champ externe comme s'il transportait une charge positive."

Cet "effet" de charge positive est dû au fait que la force électrique induite par un champ sur un électron d'énergie négative est la même que sur un électron d'énergie positive car la charge électrique est la même : -e, mais que dès lors qu'on applique , on trouve une accélération (donc une déviation) opposée car l'inertie m est censée être alors négative. Le rapport e/m est exactement celui d'un électron "positif".

Le problème est que les états les plus stables d'une particule sont ceux où l'énergie est la plus basse. Pour les électrons, ces états stables sont donc justement ces valeurs négatives! Comme le remarque Dirac : "Un électron à énergie négative aura d'autant moins d'énergie qu'il se déplacera plus vite, et il lui faudra absorber de l'énergie pour atteindre l'état de repos. On n'a jamais observé de semblables particules". Et pourtant, les états les plus stables sont ceux d'énergie négative avec une grande vitesse. Donc, "tous les électrons du monde tendront à tomber dans ces états avec émission de radiation". Pourquoi cela ne se produit-il pas?

La réponse est que cela est déjà arrivé! Tous les électrons du monde (ou presque) sont tombés dans ces états négatifs stables. Mais du fait que ce sont des fermions, chaque état d'énergie ne peut être occupé que par UN SEUL électron (principe d'exclusion). Quand tous les états négatifs ont été comblés (ce qui a nécessité une quantité infinie d'électrons), il n'est plus resté de place que pour les énergies positives. La question suivante est : "Pourquoi ne voit-on pas ces électrons d'énergie négative?"

Réponse : parce qu'ils sont stables! Ils ne bougeront donc pas, et leur immobilité garantit leur invisibilité. Comme le dit Maurice Duquesne [Réf.8, P.64] : "Du côté des énergies négatives, nous aurons une infinité d'électrons occupant ces états et cette distribution uniforme, par le fait-même de son uniformité, échappe à l'observation.[..] Si les électrons à énergie négative ne sont jamais observés dans les expériences, c'est parce qu'il y en a un nombre infini par unité de volume - et cela partout dans le monde - et de plus ces électrons sont dans les états les plus stables qui existent".

En fait, par définition, on ne peut pas observer un électron d'énergie négative dans un référentiel à énergie positive. Tous ces états d'énergie négatives sont comme une "mer" invisible sur laquelle nous flottons sans nous en rendre compte. Cette mer est en fait le vide, c'est à dire l'état de l'univers à énergie zéro.

La seule façon de traquer l'un de ces électrons est de le faire "sortir de sa tanière" en l'amenant dans un état positif observable. Mais alors, bien sûr, ce n'est toujours pas un électron à énergie négative qu'on voit. C'est comme de vouloir vérifier que la lumière à l'intérieur du réfrigérateur s'éteint quand on referme la porte. La seule façon de voir ce qui se passe à l'intérieur est malheureusement d'ouvrir la porte, ce qui détruit l'état qu'on voulait observer16.

Néanmoins, on pourrait voir alors qu'on a fait surgir un électron du néant, ce qui confirmerait la théorie. de plus, que deviendrait l'état inoccupé laissé derrière? Comme le fait d'ailleurs remarquer Dirac, "tous les états d'énergie négative sont occupés, sauf peut-être quelques uns de petite vitesse" (et donc proches du "gap" -m0c2 +m0c2). il ajoute que "nous ne pouvons espérer observer que les petits écarts de la stricte uniformité introduits par le fait que certains états d'énergie négatives sont inoccupés".

Un état d'énergie négative inoccupé est comme un "trou" ou une "lacune" dans la mer. Il peut être comblé par un électron d'énergie positive, auquel cas ce dernier "disparaît", ou par un électron d'énergie négative auquel cas, la lacune disparaît mais une autre réapparaît à l'endroit où se trouvait cet électron qui vient de laisser son ancien état inoccupé. Par contraste sur l'uniformité de la mer, cette lacune ainsi que ses "déplacements" doivent être perceptibles. Mais à quoi ressemble-t-elle?

La réponse se trouve dans sa note de décembre 1929 [Ref. 10] : "Le problème est analogue à celui des niveaux de rayons X dans un atome avec beaucoup d'électrons. Suivant la théorie usuelle des niveaux de rayons X, le trou qui est formé quand l'un des électrons intérieurs de l'atome est enlevé peut être décrit comme une orbite et [plus précisément] comme l'orbite de l'électron manquant avant qu'il ne soit enlevé. Cette description peut être justifiée par la mécanique quantique à condition que l'orbite soit considérée non au sens de Bohr mais comme quelque chose qui peut être décrit - spin mis à part - par une fonction d'onde tridimensionnelle. Par conséquent, le trou ou la lacune dans une région normalement saturée par des électrons est la même chose qu'un électron isolé dans une région qui est vide par ailleurs.

Dans le cas des rayons X, les trous doivent être traités comme des choses d'énergie négative puisque pour faire disparaître l'un d'entre eux, on doit y ajouter un électron ordinaire d'énergie positive. C'est exactement le contraire pour les trous dans notre distribution d'électrons d'énergie négative. Ces trous doivent être des choses d'énergie positive et se comporteront donc comme des particules ordinaires. Par suite, le déplacement de l'un de ces trous dans un champ électromagnétique externe sera le même que celui d'un électron d'énergie négative qui le remplirait, et par là même cela lui confère une charge +e."

Dirac prête donc la même propriété aux électrons d'énergie négative et aux lacunes laissées par ceux-ci. Sa théorie est que l'antimatière est en fait une lacune dans la mer de particules à énergie négative. Pour un électron, cette lacune se comporte comme une particule chargée positivement (+e), de masse positive, un anti-électron. J'ai déjà dit qu'il était possible qu'un électron d'énergie positive tombe dans une telle lacune, semblant s'annihiler par là, et dégageant sous forme de rayonnement (photons) une énergie égale à la différence entre les deux niveaux d'énergie, c'est à dire au moins 2m0c2.

Inversement, un photon énergétique qui serait absorbé par un électron invisible "planqué" sous la mer pourrait lui communiquer assez d'énergie pour le faire accéder à l'air libre (énergie positive). On verrait alors la création simultanée de deux particules : l'électron, et la lacune électronique (anti-électron).

L'existence des anti-électrons a été confirmée en 1931 par Carl Anderson qui en a trouvé dans le rayonnement cosmique et leur a donné le nom de "positrons". L'effet d'annihilation électron-positron a été confirmé, lui, par Irène et Frédéric Joliot-Curie, dans les mois suivants. Tout ça se tenait donc très bien.

En définitive, l'antimatière est donc une vue de l'esprit, une lacune dans une mer de matière.

4.3 l'antimatière selon Feynman

Pour Feynman, l'antimatière est une nécessité de la mécanique relativiste [Réf.9], induite par la transformation de Lorentz, et correspond à de la matière bien réelle et ordinaire vue sous un angle particulier. Plus précisément, l'antimatière est le résultat de l'observation de la matière après une transformation PT combinée, c'est à dire inversion de tous les signes des axes de l'espace-temps de Minkowski17 : x, y, z, et t (ou ct).

L'inversion de x, y et z revient à effectuer une symétrie-miroir suivie d'une rotation de 180° par rapport à un axe normal au plan du miroir. La première opération transforme les repères directs en indirects, la seconde ne modifie pas leur orientation. Le total donne donc bien une inversion de la droite et de la gauche (conjugaison de parité).

L'inversion du temps est en fait plus complexe que le simple changement de t en -t : elle consiste à étudier l'évolution d'un système depuis un état final vers un état initial.

D'après Feynman, "Opérer sur un état avec P et T revient au même qu'opérer avec C, c'est à dire que C=PT". Comme l'ajoute le traducteur de la conférence Dirac, (Richard McKenzie), "Cette égalité constitue le fameux théorème TCP.[..] Il est inscrit dans la définition même de la conjugaison de charge C qui convertit une particule parcourant X2 - X1 durant t2 -t1 < 0 en une antiparticule qui - par définition - parcourt X1 - X2 durant t1 -t2 > 0".

On peut l'expliquer comme suit :

On peut le montrer comme suit : soit Fo une fonction d'onde d'électron qui évolue jusqu'à l'état A où une interaction avec un photon18 fait se " matérialiser " la particule, laquelle dévie sa course pour aller jusqu'à B où elle émet un photon équivalent, et revient ensuite à son état initial Fo.

Quand on essaye de trouver toutes les contributions pour que l'électron aille de l'état Fo au même état, avec la propagation d'énergies seulement positives, on constate que les probabilités d'évolutions A->B ne sont pas nulles dans la région du genre espace autour de A.  On doit considérer dans la somme finale les contributions de évolutions Fo-A-B- Fo où A et B sont séparés par un intervalle du genre espace (c'est à dire que la distance entre les événements A et B est trop grande par rapport à leur écart temporel pour qu'un rayon de lumière puisse passer de l'un à l'autre).

Mais alors un phénomène étrange se produit : une propriété des intervalles du genre espace est que l'ordre chronologique de ses extrémités peut être inversé selon les référentiels (dixit Einstein, théorie de la relativité restreinte, 1905).

Donc, dans certains référentiels la succession des deux événements A et B est inversée par rapport à l'image précédente , ce qui donne ceci :

Pourtant, ceci est censé représenter le même événement que dans la première figure ! Comment peut-on interpréter ça ? Si nous rejetons la possibilité que l'électron remonte le temps, la seule manière de s'en tirer est de dire qu'à l'événement B, qui se produit le premier cette fois-ci, un photon a donné une énergie suffisante pour créer simultanément une paire électron-positron. L'électron est dans le même état que le premier, Fo. Mais les données dynamiques du positron sont opposées (spin compris) à celles que l'électron unique avait au point A dans le dispositif précédent. Ce positron va à A où il agit avec le premier électron, les deux s'annihilent et émettent un photon.

Le chemin BA du positron n'est pas seulement inversé dans le temps par rapport au AB initial que l'électron a parcouru dans le premier schéma. Aux deux extrémités, le positron est également "P inversé" parce qu'il a été créé à partir de rien avec l'électron (équivalent à celui considéré initialement), et possède alors un spin opposé (la somme des deux est zéro), or T seule n'inverse pas le spin.

Pour des conditions de continuité, ce raisonnement peut être étendu aux intervalles du genre temps, ce qui signifie que cela appliquer P et T sur un état est équivalent à appliquer C quelles que soient les conditions.

CQFD.

Ce qui s'écrit de manière plus mathématique :

Si nous étudions le comportement d'une particule de masse m et d'impulsion p, qui passe de P1 (état 1), à P2 (état 2), l'amplitude de probabilité pour une telle évolution est :

F(1,2) =

d3p

exp{-i[Ep(t2 - t1) - p (x2 - x1)]}

(2π)32Ep

Ep = . De plus, nous avons choisi y = z = 0 et pris c = = 1.

Si on applique la symétrie PT, la vision est différente : c'est celle d'une particule de masse m, d'impulsion p qui va de l'état 2' à l'état 1' 19 (P et T ajoutent tous les deux un signe - à l'impulsion). Cette évolution se produit pendant le temps Δt' = t'1 - t'2 = t2 - t1, et d'une position x2 à une position x1. Or, si l'on regarde la probabilité de transition correspondante (en inversant les charges et polarités dans la formule F), on se rend compte que c'est une antiparticule qui va de 2' à 1'.

Si par exemple, cette particule est un neutrino νe d'hélicité gauche, en revanche ce que l'on voit après inversion PT est une particule quasi-identique, mais d'hélicité droite : c'est un antineutrino .

Remarques :

1) La symétrie TCP ou CPT n'est pas un théorème. Elle n'a jamais été démontrée, bien que Pauli ait donné des indications dans cette direction. Il faut noter que l'équation de Schrödinger n'est pas directement CPT invariante.

2) les opérateurs C et P sont unitaires, c'est à dire que lorsqu'on les applique deux fois, on retourne à l'état initial, mais ce n'est pas le cas pour T qui, appliqué 2 fois de suite à une fonction d'onde d'un fermion, change la phase de y20. Donc, on ne peut pas avoir C = PT, tel quel.

5 Sakharov et l'univers jumeau

Dans les années 60 et 70, Sakharov a publié plusieurs articles de cosmologie où il s'interroge sur l'apparente asymétrie matière-antimatière. Cette appellation (assez incorrecte) se réfère à l'énorme différence quantitative observée entre les deux catégories : dans l'univers, l'antimatière (sauf antineutrinos) est pratiquement absente. Sakharov l'explique comme un résultat de la violation de la symétrie CP, suite à laquelle la probabilité de certaines réactions conjuguées ne serait pas la même, ce qui empêcherait une production d'antimatière.

Dans un article de 1967 [Réf.11], Sakharov complémente sa théorie d'une manière assez étonnante en postulant l'existence d'un univers "inversé" avant l'instant zéro, c'est à dire un univers dans lequel l'entropie croît selon |t|. Vue depuis l'instant initial, l'image est celle de deux univers qui partent à entropie croissante suivant deux directions opposées du temps. Vue linéairement, avec une seule direction du temps, ce phénomène se traduit par un univers ayant toujours existé, dont l'entropie a décru jusqu'à l'instant zéro, date à laquelle l'univers s'est retourné comme un gant (!), produisant une symétrie P et est reparti dans le sens des t positifs.

L'Univers double de Sakharov

L'ensemble du schéma est CPT invariant : à tout instant t, l'état de l'univers est le CP (ou CPT ?) symétrique de celui de l'instant -t.

Question : La matière composant l'univers avant t=0 est-elle de la matière ou de l'antimatière?

En fait, cette question a peu de sens puisque la notion d'antimatière dépend du référentiel spatio-temporel dans lequel on l'observe... Il faut la préciser.

Disons : si on regarde le schéma total dans le sens du temps de notre partie d'univers, voit-on de la matière ou de l'antimatière? La réponse se trouve page 96 des "oeuvres" où Sakharov dit qu'il y a un excès d'antiquarks avant t=0. Bien entendu, cette seule affirmation n'est pas satisfaisante. Que se passe-t-il si on observe cette matière dans l'autre sens, c'est à dire suivant l'entropie locale croissante? On voit des atomes se constituer, une vie émerger etc. Mais est-ce de la matière ou de l'antimatière? Dans un repère qui serait PT inversé, ce serait de nouveau de la matière (sauf si Sakharov se trompe).

Le schéma est donc le suivant :

Univers et symétrie globale CPT

Ce modèle n'est pas là pour expliquer l'asymétrie matière-antimatière actuelle : Sakharov précise bien que cette asymétrie est due à des effets de violation CP (voir plus loin) survenus dans l'univers en expansion après l'instant zéro. Le schéma miroir est imposé ensuite pour retrouver une symétrie CPT globale de l'univers, ce qui, en retour, impose des contraintes sur l'instant zéro.

A t=0, on a donc une singularité, de diamètre nul (Sakharov l'appelle l'hypersphère singulière d'étendue zéro). Mais pourquoi une singularité, au fait? L'univers s'inverse spatialement, ce qui est un processus continu. Le temps ne s'inverse pas, qu'est-ce qui crée une singularité?

Avant t=0, on a dS/dt <0 : l'entropie baisse avec le temps. ceci s'inverse ensuite mais en t=0, on a dS/dt = 0 (entropie minimale), donc cela reste continu.

Ce qui pose problème, ce sont les quantités conservatives des particules et en particulier, ce que Sakharov appelle la "charge combinée baryons-leptons". Devançant les théories de grande unification de quelque 10 ans, Sakharov essaie de définir une quantité qui soit conservée malgré l'instabilité des baryons. Cette dernière impliquant que la charge baryonique B n'est plus conservée, Sakharov se rabat sur un nombre combinant la quantité de baryons à celle de leptons : 3B-L. Cette formule n'a pas été reprise telle quelle depuis, aujourd'hui on penche plutôt pour B-L, mais c'est le principe d'une charge combinée qui est intéressant. Cela signifie que les baryons en se désintégrant créent des anti-leptons (et c'est vrai). Le facteur 3 de Sakharov provenait du fait qu'un quark peut donner un positron (par désintégration béta), et que le nombre baryonique du premier est 1/3 alors que le nombre leptonique du second est -1. Le facteur 3 a disparu aujourd'hui à cause de l'introduction de nouvelles particules intervenant dans le calcul et ayant une charge combinée non nulle (bosons de Higgs).

En tout cas, cette charge combinée risque de poser problème en t=0 si elle n'est pas nulle car alors, la fonction << charge combinée = f(t) >> ne serait pas C symétrique (en effet, la charge combinée change de signe si on remplace toutes les particules par leurs antiparticules). Sakharov étudie les différents cas possibles mais ne conclue pas.

6 Remarque en forme d'épilogue

Dans les descriptions évoquées ci-dessus, l'antimatière est apparue comme de la matière vue après (ou à travers) un "retournement" d'espace-temps. Dans ces conditions, la neutralité matière - antimatière pourrait être finalement issue de considérations géométriques ou topologiques. Par exemple, si l'univers subissait un tel retournement "en cours de route" (qu'il soit comme un ruban de Möbius spatio-temporel), et qu'il se rebouclait sur lui-même (des théories sont en cours de formalisation sur ce thème), il y aurait neutralité globale sans qu'on puisse mettre en évidence de l'antimatière à un instant donné, la matière se retournant de manière imperceptible au cours de l'expansion - contraction. Ceci créerait le Big Bang en finale, comme en un magistral "choc en retour".

7 Bibliographie

Réf.1

"Nuclear and Particle Physics" par W.E. Burcham et M. Jobes (Longman Scientific & Technical, 1995)

Réf.2

"L'Univers ambidextre" par Martin Gardner, traduction française (collection Science Ouverte, Editions du Seuil, septembre 1985)

Réf.3

"La Physique des particules élémentaires de sa naissance à sa maturité 1930-1960" par Jeanne Laberrigue-Frolow (Editions Masson, Paris, 1990)

Réf.4

"La Matière Espace-Temps (la logique des particules élémentaires)" par Michel Spiro et Gilles Cohen-Tannoudji (Collection Le Temps des Sciences, Editions Fayard, 1986)

Réf.5

"L'Univers Quantique, des quarks aux étoiles (The Cosmic Code)" par Heinz Pagels, traduction française (Interéditions, 1985)

Réf.6

"The force of Symmetry" par Vincent Icke (Cambridge University Press, 1995)

Réf.7

"Cours de Physique - Mécanique Quantique", Tomes I et II, par J.L. Basdevant (Ecole Polytechnique, 1983)

Réf.8

"Matière et antimatière" par Maurice Duquesne (Collection Que sais-je? N°767, P.U.F. mai 1982)

Réf.9

"Pourquoi des antiparticules" par Richard Feynman, conférence donnée en l'honneur de Dirac et rapportée dans "Particules Elémentaires et Lois de la Physique" (Interéditions 1989). L'original "Elementary particles and the Laws of Physics/The reason for antiparticles" a été publié par la Cambridge University Press en 1987.

Réf.10

"A Theory of protons and electrons" par Paul Adrien Maurice Dirac, 6 décembre 1929 publié dans les Proceedings of Royal Society (Londres), 1930, A126, pages 360-365

Réf.11

"Violation de l'invariance CP, asymétrie C et asymétrie baryonique de l'univers", par Andréï Sakharov, ZhETF Pis'ma 5 : 32-35 (1967) ; Traduction (anglaise) dans JETP Lett. 5 : 24-27 (1967) ; Traduction française dans les "Oeuvres Scientifiques"; Editions Anthropos, Paris 1984.


Notes

1bien que pour saisir les implications réelles dans notre univers, on garde plutôt le référentiel tout en faisant subir la transformation au système étudié...

2 Encore faudrait-il avoir une référence externe à l'univers!

3 2 entraîne 3, mais l'inverse n'est pas toujours vraie.

4 Est-ce qu'elles participent aussi à la structure de l'espace-temps via le tenseur énergie-impulsion?

5 par exemple des expériences où intervient le moment magnétique qui est proportionnel au spin, comme dans la physique classique

6 c'est à dire, plus exactement demi-multiple de h/2π

7 en revanche, ce n'est pas nécessairement vrai pour des systèmes associatifs (formés de plusieurs particules)

8 dans la théorie qui unifie l'électromagnétisme et la force faible, le Z° et le photon sont des combinaisons d'un troisième W neutre, le W° et d'un singlet (un seul état) nommé B°

9 ce fractionnement est une nouveauté; en effet, jusqu'à ce que Gell-Mann et Zweig "inventent" les quarks, la charge du proton, égale à celle de l'électron (au signe près) était le "quantum" de charge électrique.

10 par exemple le charmonium formé d'un quark charmé et d'un anticharm.

11 celle-ci est liée à l'hélicité

12 Cette question m'a effleuré l'esprit au sujet des neutrinos. etant donné que la seule chose (observable) séparant un neutrino d'un antineutrino est l'hélicité, comment peut-on dire que c'est le premier (c'est à dire celui qui est gauche) qui est de la matière, et l'autre de l'antimatière? Ou même, est-ce que cette question a un sens, s'il n'y a pas un test caractéristique de l'antimatière?

13 à opposer aux nombres multiplicatifs tels que la parité, la C-parité, la G-parité, etc.

14 les développements sont tirés de "Nuclear and Particle Physics" par W.E. Burcham et M. Jobes [Réf.1, pages 377 à 390]

15 sauf indication contraire, les développements de cette partie sont basés sur l'ouvrage "Matière et anti-matière" de M. Duquesne [Réf.8]

16 il existe un extraordinaire dessin animé de tex Avery sur cette histoire de réfrigérateur. Pour en avoir le coeur net, le propriétaire ajoute une deuxième ouverture, plus petite, qui lui permet de voir ce qui se passe à l'intérieur sans avoir à ouvrir la grande porte. Il s'aperçoit alors qu'il y a un lutin dans le réfrigérateur qui vient éteindre la lumière chaque fois qu'il ferme la porte!

17 Pour la petite histoire, Hermann Minkowski, ancien professeur d'Einstein a été sidéré par la publication des articles de ce dernier en 1905, l'ayant trouvé "trop paresseux pour s'intéresser aux mathématiques". L'espace-temps dit "de Minkowski" a en fait été introduit par Poincaré 3 ans avant lui.

18Ou plutôt deux pour respecter la conservation des paramètres énergie/impulsion

19 Les états 1 et 2 étant caractérisés par d'autres variables que leur position (polarisation, spin, phase), nous ne pouvons affirmer que suite à l'inversion PT, on "verrait' 1 = 1' et 2 = 2'. C'est pourquoi nous avons rajouté des '.

20 Une double inversion du temps est équivalente à une rotation de 180° qui a le même effet sur les fonctions d'onde. Le fait que ce ne soit pas équivalent à l'identité pour les fermions a amené des idées sur une analogie entre ces particules et des boucles tordues (genre Ruban de Möbius).

symetrie.odt - 1 - 1er janvier 2007